L’évolution de la conception électronique
Du fer à souder aux microcontrôleurs 64 bits
En quelques décennies, la manière de concevoir un système électronique a radicalement changé. On est passé d’une époque où l’on assemblait patiemment transistors, résistances et circuits TTL sur un circuit imprimé ; à un monde où l’on programme des microcontrôleurs 32/64 bits, des PLD ou des FPGA capables de remplacer des centaines de composants discrets par une seule puce.
Les possibilités sont devenues immenses. La complexité aussi.
Mais l’écosystème s’est adapté : de nouvelles abstractions matérielles et logicielles permettent aujourd’hui à la fois aux makers et aux ingénieurs professionnels d’aller plus loin, plus vite et à moindre coût.
L’époque du tout-discret
Dans les années 70 et 80, un projet électronique typique ressemblait à ceci :
- une logique câblée à partir de circuits TTL ou CMOS ;
- les tâches simples confiées à quelques composants analogiques : NE555, comparateurs et amplis opérationnels ;
- une alimentation linéaire assez encombrante ;
- un débogage à coup de multimètre et d’oscilloscope ;
- et une optimisation à la main, composant par composant.
Chaque fonction avait son composant dédié : additionneur, diviseur de fréquence, multiplexeur, bascule D, convertisseur analogique-numérique. Chaque amélioration passait par un nouveau routage et souvent par plus de composants. La conception était une œuvre complète, mais lente et exigeante.
L’arrivée des microcontrôleurs
Avec les premiers PIC, AVR, 68HC81 et autres 8051, un changement majeur se produit : une partie du schéma disparaît dans le logiciel. Les compteurs, registres à décalage et machines à états deviennent virtuels.
Un seul composant remplace deux douzaines de puces. La logique câblée régresse au profit de l’algorithmique. Les cartes deviennent plus compactes, plus fiables, plus faciles à mettre à jour.
Aujourd’hui, avec des microcontrôleurs 32 bits (ARM Cortex-M, ESP32…) voire 64 bits (RP2350, RISC-V), la frontière entre matériel et logiciel devient de plus en plus floue. Les DSP eux-mêmes (56000, TMS320) peuvent désormais assurer des fonctions autrefois analogiques : filtrage, détection, contrôle moteur ou traitement audio en temps réel.
Le matériel devient code
L’étape suivante a été l’arrivée des architectures reconfigurables grâce aux circuits logiques programmables :
- PAL et GAL
- CPLD et EPLD
- FPGA
Entre les premières PAL, qui intégraient l’équivalent de 50 portes logiques, aux FPGA les plus sophistiqués, qui contiennent 50 millions de portes, l’écart est vertigineux.
Avec ces outils, le hardware devient lui aussi du software. On écrit des bascules, des états, des pipelines… en VHDL ou Verilog. Ces circuits remplacent des dizaines, voire des centaines de puces logiques classiques.
Les SoC hybrides les plus performants peuvent contenir dans une seule puce un CPU, un DSP et un FPGA. Ils permettent de réaliser des architectures impossibles à obtenir en discret : filtrage en flux, traitement parallèle massif, capture temps réel, protocoles personnalisés, etc.
L’autre révolution
En parallèle, une transformation plus discrète a tout changé : l’apparition des modules pré-câblés.
Capteurs, drivers, convertisseurs, radios, écrans, interfaces… Aujourd’hui, tout existe sous forme de petite carte prête à l’emploi :
- capteurs de température, humidité, pression ;
- pilotage de moteurs ;
- modules de communication série ;
- émetteurs et récepteurs radio ;
- alimentations et convertisseurs de tension ;
- écrans LCD, OLED, e-ink ;
- cartes microprocesseur (ESP32, RP2040, Arduino).
Plus besoin de concevoir une alimentation à découpage complète ou de maîtriser le dessin d’un guide d’onde 433 MHz pour réaliser un prototype fonctionnel. On assemble des briques comme un LEGO.
Résultat : Un maker peut faire en une semaine ce qu’un ingénieur mettait un mois à réaliser. Et un ingénieur professionnel peut sortir un prototype en quelques jours au lieu de plusieurs semaines.
Les librairies ont remplacé le code
Côté logiciel, la révolution est tout aussi profonde. Au lieu d’écrire du code pour chaque fonction à implémenter, on utilise désormais des composants logiciels prêts à l’emploi :
- SDK complets (Arduino, Zephyr, ESP-IDF, Pico SDK…)
- pilotes fournis par les constructeurs
- librairies orientées objet pour I2C, SPI, UART…
- protocoles middleware (MQTT, Modbus, CANOpen…)
- frameworks avec IA embarquée
Il n’est souvent plus nécessaire d’écrire :
- une pile TCP/IP → elle existe ;
- un driver de capteur → déjà codé ;
- un protocole radio → déjà optimisé ;
- un moteur graphique pour écran → disponible ;
- un système d’exploitation temps réel → déjà porté.
Le travail se déplace de la programmation bas niveau vers l’architecture logicielle et l’intégration.
Deux publics, une convergence
Makers et ingénieurs se retrouvent désormais autour d’outils communs : prototypage rapide, microcontrôleurs ARM, modules industriels, Python embarqué, plateformes cloud…
Pour les makers
- apprentissage simplifié
- projets plus ambitieux
- accès à des technologies professionnelles
- créativité libérée
Pour les ingénieurs professionnels
- réduction drastique du temps de développement
- preuves de concept rapides
- coûts de R&D abaissés
- fiabilité accrue grâce à des modules validés
- concentration sur la valeur ajoutée
Les tendances actuelles
- microcontrôleurs 64 bits de plus en plus accessibles
- multiplication des SoC hybrides (CPU + accélérateurs IA + FPGA)
- modules toujours plus complets, parfois proches de produits finis
- généralisation de l’IA embarquée
- outils de développement low-code
- cartes évolutives et modulaires
L’électronicien moderne devient un architecte de systèmes, plus qu’un simple assembleur de composants.
Conclusion
La conception électronique n’a jamais été aussi puissante, rapide et accessible. Nous sommes passés du fer à souder au compilateur, puis du compilateur au FPGA, puis du FPGA aux modules tout-intégrés.
Deux mondes qui évoluaient en parallèle commencent à se rejoindre :
- les makers, qui gagnent en facilité et en possibilités ;
- les ingénieurs, qui gagnent en productivité et en efficacité.
Une nouvelle ère de l’électronique est née : celle où le matériel et le logiciel avancent ensemble, modulaires, agiles et universels.
